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par Robert Richard
La Semaine sainte, qui ouvre sur la fête de Pâques, est l’occasion pour les chrétiens de plonger plus profondément dans le mystère de la souffrance, de la mort et de la résurrection du Fils de Dieu. C’est dans ce contexte que la chronique Entretien avec… vous propose de rencontrer Manon Proulx et Mario Robichaud, un couple tout simple, dont la vie, bien que marquée par la croix, reflète une autre vie qui les dépasse et les solidifie à la fois.
Âgés tous deux de 51 ans,
Manon et Mario sont mariés depuis 31 ans.
Ils sont parents de quatre enfants et ils ont six petits-enfants.
Manon est responsable
d’un service de garde en milieu familial.
Mario est économe-adjoint.
Pour eux, l’amour prend sa source dans une présence intérieure.
Il est le dénominateur commun de leur histoire
personnelle, de couple et de famille.
Mais il s’agit d’un amour très enraciné dans le concret de leur vie,
qui grandit et se déploie au cœur de ce qu’elle apporte
de questions de sens, de souffrances aussi.
Manon et Mario savent d’expérience ce que veut dire crier vers Dieu.
Robert Richard pour Souffle.ca
Manon, Mario, parlez-nous un peu de vous…
(Manon) Je suis une passionnée de la vie, la nature, les animaux, les arts, la musique de tous genres. La spiritualité a une place de choix dans ma vie, je suis très discrète et intérieure. Ma rencontre avec Mario a été un point marquant de ma vie. Il a joué un rôle de motivateur qui m’a donné une plus grande estime de moi. C’est un passionné, lui aussi, un être généreux et amoureux, un père affectueux.
(Mario) Ce qui m’est arrivé de plus beau dans ma vie, eh bien, c’est sans aucun doute Manon. En côtoyant une personne comme elle, tu prends une sérieuse option pour la vie. Ce qu’elle est t’invite malgré toi à devenir meilleur. L’arrivée de nos quatre enfants et de nos petits-enfants sont des moments inoubliables. Au niveau spirituel, d’avoir eu la chance de baptiser mes trois petits-fils fut un merveilleux privilège.
Vous avez baptisés vos petits-enfants?
(Mario) Oui, j’ai été ordonné diacre permanent en avril 2007. C’est un « ministère », un service pourrait-on dire, que j’assume dans l’Église catholique. Dans mon cas, il s’agit d’un service de miséricorde, de présence évangélique auprès des personnes souffrantes ou en déroute. J’ai donc, en plus de mon travail régulier et rémunéré d’économe-adjoint, un engagement d’écoute auprès des jeunes adultes, comme animateur spirituel de « La Flambée », et auprès de personnes blessées par un échec conjugal, dans le mouvement « Joie de vivre ». C’est en tant que diacre permanent que j’ai pu baptiser trois de mes petits-enfants.
Et vous, Manon, vous avez aussi un engagement à caractère religieux?
(Manon) Je m’implique aussi au niveau de La Flambée. Les jeunes adultes me tiennent particulièrement à cœur. J’ai été marguillière pendant 3 ans, c’est-à-dire élue par d’autres chrétiens, avec cinq autres personnes, pour l’administration et la mission de ma communauté. Je participe aussi régulièrement aux activités de ma paroisse.
Quelle est la qualité que vous appréciez le plus chez les autres?
(Manon) Pour moi, c’est la gratuité. Donner ce qu’il y a de meilleur en nous, sans attendre en retour, sans condition et sans regret, juste pour rendre les autres heureux, plus humains : qu’ils se sentent aimés pour ce qu’ils sont, et m’émerveiller de leur plus beau sourire.
(Mario) Depuis que je suis tout petit, deux mots résument ce qui me rend heureux ou malheureux : accueil et reconnaissance. Le problème survient quand je les exige de l’autre dans ma relation, comme si cela ne dépendait que de lui. En vivant une relation d’amour avec la présence intérieure, je suis par le fait même accueilli et reconnu. Ma relation à l’autre devient un « aller vers ». Je ne suis pas toujours comme en attente d’être aimé parce que je le suis au départ.
Mario, que voulez-vous dire par cette « présence intérieure »?
(Mario) Je parle de la présence de Dieu. Je crois que ce qui manque le plus cruellement à notre monde est de ne pas être assez en relation avec lui. Et ceci se répercute sur la qualité des relations que nous avons avec les autres.
Manon, vous y croyez aussi à cette présence intérieure dont parle Mario? Si oui, qu’est-ce que ça vous apporte de vous sentir ainsi habitée?
(Manon) Oui, j’y crois. Pour moi c’est l’Amour avec un grand A, l’Amour inconditionnel et empreint de liberté que m’a offert mon créateur en me donnant la vie. Ma rencontre avec Mario et toute notre vie de couple et familiale sont teintées par cette Présence amoureuse. Je ne peux imaginer mon existence sans Elle. Tout passe par l’Amour, même l’amitié et le social. C’est essentiel au don de soi.
(Mario) Le couple que nous formons, Manon et moi, est aussi beaucoup influencé par cette présence amoureuse de Dieu. Il en découle entre nous une complicité qui concrétise cet amour. Mon travail, par exemple, je le fais certes parce que je me réalise et que je subviens à mes besoins et à ceux de ma famille. En même temps, je le fais parce que je rends service : ce que j’aime par dessous tout, ce sont les relations avec mes confrères et consoeurs, bâtir ensemble, avancer, s’aimer au quotidien.
Dites-nous une parole, une pensée, un proverbe qui vous guide dans votre vie?
(Manon) « Quand un malheureux crie, l’Éternel entend… ». Il y a aussi : « Le Seigneur est mon berger, rien ne saurait me manquer ». Ces deux paroles sont des extraits du livre des psaumes de la Bible. Elles font référence à la confiance que j’accorde à mon Dieu. Je sais que dans mes souffrances et mes peines, il est présent et à l’écoute, et ça me redonne force et courage pour affronter l’adversité.
(Mario) Moi je dirais : « Je suis le chemin, la vérité, la vie » C’est Jésus qui dit ça à ses amis, pas longtemps avant de mourir, et qui ne comprennent pas où il s’en va. Il les invite à le suivre pour aller jusqu’à Dieu. Il y a aussi : « Confiance, lève-toi… ». Puis : « tu es mon fils bien-aimé, il m’a plu de te choisir ». Ce sont tous des extraits de l’Évangile.
Vous faites confiance, vous comptez sur la présence amoureuse de Dieu. Mais, le malheur doit bien vous atteindre parfois?
(Mario) À l’âge de 20 ans, notre fils aîné a été opéré d’urgence pour une tumeur au cerveau. À ce moment, pour la famille, tout a basculé. Mathieu savait les risques de son opération : la mort, une paralysie complète, à moins d’un miracle. L’opération a pris plus de huit heures. C’était interminable. Au terme, le chirurgien nous a informé que Mathieu serait désormais aveugle, paralysé et ne s’exprimerait qu’en grognant. Dans la semaine qui a suivi, Mathieu a retrouvé une vue double et la capacité de dire quelques mots. Après deux mois, il pouvait se tenir debout.
Qu’est-ce qu’on dit à Dieu dans ces moments-là?
(Manon) J’ai crié à Dieu mon désespoir et ma confiance aussi. Il y a eu des peines, des peurs, des espoirs, des cris, des hauts, des bas, des joies, des rechutes, des regains de vie, des partages d’amour…
(Mario) J’avais le cœur en mille morceaux. Comment le principe d’amour inconditionnel avait-il pu créer tout cela? J’étais déçu et fâché. L’amour qui me rendait vivant jusque-là ne semblait plus aussi inconditionnel et vrai. Comme j’étais habitué de parler à Dieu, je lui ai crié toute ma rage. Je devais comprendre. C’était aussi absurde dans ma tête que la crucifixion du Christ. S’est alors amorcé une très longue et pénible réflexion sur la souffrance.
Devons-nous comprendre que Mathieu ne s’en est pas sorti tout de suite?
(Mario) À ce moment, Mathieu avait déjà une fille de deux ans et demi et sa conjointe était enceinte de leur deuxième fille. Les souffrances et la réhabilitation de Mathieu étaient trop difficiles, le couple n’a pas tenu et Mathieu a vécu un sentiment de rejet épouvantable. Il ne s’en remettra jamais d’ailleurs. Mathieu progressera assez bien, physiquement, pour vivre en appartement, mais nous devrons toujours êtres près. Malgré tout, Mathieu sombrera dans une espèce de dépression. Après trois ans, il fera une tentative de suicide. Je suis arrivé à temps mais le spectacle n’était pas beau à voir. Par la suite, Mathieu a vécu de très beaux moments avec ses filles. Mais la douleur intérieure restait vive. Après huit ans de durs combats. Mathieu, épuisé, s’est suicidé.
Ouf! À quoi on s’accroche dans de pareilles circonstances pour ne pas sombrer soi-même?
(Manon) À l’espérance que le Dieu d’amour auquel j’ai toujours cru, et en qui je continue de faire confiance, a accueilli mon fils dans sa souffrance et l’a serré dans ses bras autant que moi je ne pouvais plus le faire.
(Mario) J’ai compris que la vie de Mathieu ne m’appartenait pas. Après lui avoir exprimé ma position, ma pensée, ma confiance en Dieu, je me suis dit que, de l’aimer vraiment, ce serait de toujours lui manifester mon accueil inconditionnel de père dans ce qu’il vivait. Je pense toujours aujourd’hui que la souffrance n’est pas nécessaire mais qu’elle peut être un chemin privilégié pour devenir complice de la présence de Dieu. Je ne parle pas ici de la souffrance intentionnelle. Je parle d’un lâcher prise qui me détourne d’une prétention d’être qui ne m’appartient pas et qui, librement tournée vers la présence, me rend vivant. Il est encore plus évident pour moi aujourd’hui que ce qui me rend vivant, me rend vivant pour l’éternité. La mort n’est qu’un passage. Ce n’est que la conclusion de la finitude elle-même et le plein accomplissement de la liberté. Ceci dit, les câlins et la présence de Mathieu me manquent même si il est plus vivant que jamais dans mon cœur.
Manon, quand vous réentendez la phrase du psaume qui dit : « Quand un malheureux crie, l’Éternel entend … », vous croyez toujours qu’il vous a entendue dans la souffrance et la mort de Mathieu?
(Manon) Oui.
Pouvez-vous nommer trois qualités pour décrire Dieu?
(Manon) Amoureux, miséricordieux, accueillant. C’est ainsi que je crois qu’il a accueilli mon fils Mathieu.
(Mario) Je dirais aussi miséricordieux, au sens que son amour est vraiment inconditionnel. J’ajouterais le mot vivant : un Dieu vivant qui nous donne la vie, c’est le centre même de ma foi. Enfin, je dirais qu’il est tout-Autre, imprenable, indéfinissable. Mais ma décision de croire au quotidien me replonge constamment en relation amoureuse avec ce Dieu qui pourtant m’échappe mais que je verrai un jour en face.
En terminant, c’est quoi pour vous un saint?
(Mario) C’est quelqu’un qui veut suivre le Christ, qui est tourné vers lui malgré tout.
Où sont nos morts? Où est Mathieu?
(Manon) Ils sont dans la lumière du Christ, dans l’attente qu’on les rejoigne un jour, délivrés de nos souffrances. La mort n’est pas une fin, c’est le début d’un amour éternel. Je t’aime, Mathieu.
Entretien réalisé par Robert Richard.
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